Joe Kirman avait conduit des taxis depuis toujours. Ceux qui le connaissait savaient que cela représentait près de vingt ans de sa vie, il avait tout vu, tout entendu, tout connu. Du moins, c'était ce qu'il pensait également jusqu'à aujourd'hui. En effet, en cette belle journée de novembre où comme chaque jour, il se chargeait de déposer des voyageurs de l'aéroport central de Wallfields jusqu'au centre ville, Joe Kirman, quatre-vingt ans descendit hébété de sa voiture. Quand certains clignaient plusieurs fois des yeux pour s'assurer que ce qu'ils voyaient était bien réel, lui enlevait et remettait sa casquette beige que sa défunte épouse lui avait offert lord de lors deuxième rendez-vous galant. Lena Fairchild, qui venait de voyager près de dix heures dans l'avion, ne ressentait pas de fatigue et se demandait pourquoi ce chauffeur de taxis la regardait de cette façon, pourquoi il n'arrêtait pas d'enlever et de remettre cette affreuse casquette qui ornait son crâne presque chauve. Une vingtaine de pull-overs, une douzaine de jeans et de pantalons en tout genre, une trentaine de robes, une cinquantaine de paires de chaussures, voilà ce qui stupéfiait joe. Il avait toujours vécu à Wallfields, cette petite principauté où la vie était beaucoup trop simple pour être vraie, cette petite ville traditionnelle qui fêtait toujours Halloween, Thanksgiving ou la Saint Valentin comme de véritables fêtes nationales, il n'aurait ainsi jamais pu comprendre le mal que c'était donné Lena pour faire rentrer l'intégralité de sa garde-robe dans les six valises qu'elle possédait. Il n'avait jamais imaginé, la manière dont elle avait du s'y prendre pour fermer correctement ces valises, comment la soixantaine de kilos qu'elle possédait et son derrière lui avait donné la possibilité de les transporter. Il ne pouvait pas non plus deviner la tête que sa sœur Galadriel Fairchild allait faire lorsqu'elle allait recevoir le montant ajouté au billet d'avion pour chaque nouvelle valise qu'avait posé sa jeune sœur de vingt-quatre ans sur le tapis roulant. Il se souvenait seulement le souffle qu'il avait du reprendre à chaque nouvelle valise qu'il avait dû déposer dans le coffre de son automobile. Il regardait ses lèvres bouger dans son rétroviseur à présent. Il lui semblait qu'elle avait pris la parole il y a de cela une bonne demi-heure et n'avait toujours pas pris de pause pour respirer. Cela n'avait pas l'air de la déranger, contrairement aux clients habituels de Joe qui savaient que Joe ne répondait jamais. Joe avait perdu sa femme il y a de ça cinq ans, il était aujourd'hui ce taximan aigri, qui ne supportait pas la compagnie des gens et qui travaillait pour le plaisir de conduire son taxi et non pas pour rendre service aux autres. Joe était un solitaire, un homme qui ne faisait attention à personne. Pourtant, il restait fasciné par cette jeune femme qui parlait de la manière dont elle avait décidé sur un coup de tête de quitter ses parents, de venir rejoindre sa sœur dans cette principauté qu'elle ne connaissait pas mais qui semblait « tout à fait charmante » comme elle n'arrêtait pas de le répéter (pour essayer de se convaincre et pour se montrer polie en réalité), de la façon dont elle devait annoncer la nouvelle du montant des valises à Galadrielle (sa sœur apparemment), de la peur qu'elle ressentait de se faire taper sur les doigts, du fait que ses parents la croyaient à New York parce qu'ils ne supporteraient pas l'idée qu'elle soit partie rejoindre son inconsciente de sœur qui les vait quitté il y a de ça quelques années. Elle parlait, souriante, impressionnante. Oui, pour la première fois depuis des années Joe Kirman était comme envoûte par ce bout de jeune femme et sourit en pensant à son épouse. Il venait de faire l'intégralité de ce voyage, il entrait dans le centre ville et pour une fois, il n'avait pas vu le temps passer. À ce qu'elle prit pour de la compassion à son long et périlleux voyage, elle sourit également et lui tendit le montant du voyage. Il l'aida à sortir son nombre incroyable de valises et il repartit à l'intérieur de son automobile, pour un nouveau trajet se demandant comment pouvait être le restant de la famille de cette petite personne. Il n'avait pas idées... Lena observa la demeure dans laquelle elle s’apprêtait à rentrer, une merveilleuse petite maison, joliment bien décorée que ce soit en extérieur, de ce qu'elle pouvait voir, qu'en intérieur qu'elle pouvait déjà deviner vu le bon goût dont faisait toujours preuve son aînée. La jeune femme savait qu'elle avait toujours été aux yeux de tous le monde cette personne discrète qui n'était que l'ombre de sa sœur en charme, beauté et intelligence mais à son départ, elle avait pris sur elle et s'était habituée, le regard des gens lui importait peu maintenant, elle ne serait jamais à la hauteur de Galadriel mais elle serait elle et c'était peut-être ce qui lui allait le mieux... ou presque. Ce moment de confiance prit fin lorsque sa magnifique sœur lui ouvrit la porte, avec le sourire le plus parfait qui ne puisse même pas exister dans n'importe quelle publicité pour du colgate.

Elle allait tourner la poignée. Son service prenait fin. Elle travaillait tous les soirs à partir de 18h et elle finissait tard vers 1h mais en général, Sam faisait la fin du service pour elle. La voir, la main sur la poignée, lui rappela un instant un vague souvenir.

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Les lieux changeaient. On était plus au Kerrington. On était même plus à Wallfields. Lena se tenait devant lui, dos à lui. Elle pleurait, il le savait. A l'époque il pouvait deviner ce qu'elle pensait sans même la voir, il sentait tout son corps tendu, ses membres fatigués de devoir toujours suivre le même schéma. Elle voulait rester avec eux, elle voulait rester avec lui. Il le savait, il voulait lui donner l'occasion de le dire. Elle tenait toujours la poignée, elle ne savait pas vraiment ce qu'elle attendait. Ou plutôt si, elle n'attendait rien. Elle ne voulait plus faire aucun mouvement, juste figer le temps. Julian , lui se revoyait dans le temps. Il se voyait la retenir. « Lena. » Elle se retourna et il se revit lui-même,les traits soulagés. Elle était encore là. « Reste. » Elle sourit, un sourire triste. « Reste avec moi. » Il se rapprocha d'elle, il avait du mal à le dire ; Il n'était pas le genre à se dévoiler aussi facilement, il n'aimait pas être serieux, il préférait s'amuser, il préférait la taquiner plutôt que de lui dire de tels mots. « Lena, je veux dire. Reste vraiment avec moi. Nous deux, ensemble. » C'était le plus loin qu'il pouvait faire, elle le savait. Elle avait compris. Elle se retourna, déterminée, les larmes aux yeux. « Je suis désolée » et elle referma la porte.

Lena ferma la porte du Kerrington avec la sensation qu'on l'observait. Elle se retourna. Elle croisa son regard. Puis, elle poursuivit son chemin. Tout simplement comme elle l'avait fait autrefois.